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va en chercher dans son sabot chez le Sarrasin, dont la femme n’est point Sarrasine, c’est-à-dire chez l’ogre, dont la femme n’est point ogresse.

« Donnez-moi du feu, s’il vous plaît, ma bonne dame, dit la petite fille.

— Je veux bien, mon enfant, répondit la femme ; mais sauvez-vous bien vite ; car mon homme est Sarrasin, et s’il vous voyait, il vous mangerait. »

Comme la petite fille était prête à partir avec son feu, le Sarrasin arriva, et sa femme n’eut que le temps de la cacher sous un paquet de linge sale.

« Je sens la chair chrétienne, dit le Sarrasin en entrant.

— Non, ce sont des poulets que je viens de tuer,

— Je sens la chair chrétienne ; ce ne sont pas des poulets,

— C’est notre vache qui a eu un veau.

— Je sens la chair chrétienne ; ce n’est pas le veau que je sens.

— Ce sont nos petits moutons que je viens de rentrer à l’étable.

— Je sens la chair chrétienne ; dis-moi ce que tu caches.

— Je t’en prie, répondit la femme, je vais tout te dire ; mais tu ne lui feras point de mal : c’est une petite fille qui est venue chercher du feu dans son sabot,

— Je veux bien ne pas la manger, dit le Sarrasin ; mais à la condition que tous les matins, elle m’apportera son doigt à sucer.

La petite fille s’en alla ; mais tous les matins elle apportait son doigt à sucer au Sarrasin, et elle maigrissait à vue d’œil.

« Ses frères s’en aperçurent et lui dirent :

« Qu’est-ce que tu as ? tu deviens pâle comme un navet.

— Je n’ai rien, » répondit-elle.

Mais comme ils la pressaient de questions, elle ne voulut point mentir, et leur dit qu’un, matin, elle avait été obligée d aller demander du feu chez le Sarrasin ; il était survenu pendant qu’elle en prenait, et n’avait consenti à ne pas la manger que si elle lui apportait son doigt à sucer tous les matins ; elle passait son doigt gauche par une fente de la porte, et sa main enflait dès que son doigt avait été sucé.

« Demain, tu retourneras encore, lui dirent ses frères ; mais tu diras au Sarrasin d’agrandir le trou de la porte et de passer sa tête pour te sucer le doigt.

« Le lendemain, le Sarrasin agrandit le trou de la porte, et au moment où il passait la tête pour sucer le doigt de la petite fille, un des frères, qui le guettait, lui fit sauter la tête d’un coup de hache.[1] »

  1. Paul Sébillot, Contes populaires de la haute Bretagne, deuxième série ; Contes des Paysans et des Pêcheurs, les Sept Carrons et leur Sœur, p. 160-161 : Charpentier, 1881,