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vaient les idées et le sentiment de ce qu’ils avaient été, et subissaient les lois de leur état. Dès que la fée, qui avait le don de pénétrer les pensées, les croyait corrigés, elle leur rendait leur première forme avec son amitié, et leur procurait souvent un établissement avantageux. Elle changea donc, mais avec peine, les trois fils de Pétaud en polichinelles, et les trois filles en dames gigognes, et les condamna à être ainsi marionnettes pendant l’espace de trois ans.

Comme elle était aussi contente du prince Cadichon, qu’elle avait été peu satisfaite de ses frères et sœurs, elle ne voulut pas qu’il fût le témoin de leur disgrâce, et résolut de l’éloigner. Il ne s’agissait que de trouver un asile qui le garantît de la méchanceté de Gangan ; mais, pour ne rien prendre sur son compte, elle jugea à propos d’aller consulter la reine des fées, son amie, et de prendre son avis sur ce qu’elle avait à faire. Dans ce dessein, elle mit son vertugadin de velours vert, son mantelet de satin jonquille, et son petit chaperon bleu ; puis, ayant fait atteler à sa chaise de poste d’osier doré six hannetons blancs, harnachés de nonpareille couleur de rose, elle partit en diligence et arriva en peu de temps dans l’île Fortunée, où la reine des fées faisait sa résidence ordinaire.

Ayant mis pied à terre au bout d’une magnifique avenue d’orangers et de citronniers, elle entra dans la cour du château, où elle trouva en haie vingt-quatre gines noires, hautes de six pieds, ayant de longues robes retroussées, et portant sur l’épaule gauche une massue d’acier poli ; elles avaient derrière elles vingt-quatre autruches noires, mouchetées de rouge et de bleu, qu’elles tenaient en laisse, et elles gardaient un profond silence. Ces gines noires étaient mé-