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texte de l’égayer pendant une occupation où la vivacité s’assoupit d’ordinaire, il lui faisait des récits si agréables de ses voyages, qu’elle l’aurait écouté toute sa vie. Le peu de brillant de sa figure n’empêcha pas celui de son esprit de faire le même effet que s’il eût été le mieux fait de tous les hommes.

Elle l’aima donc, et fut fâchée que son portrait fût sitôt fini ; mais elle le fut bien plus quand il fallut partir pour une aventure aussi périlleuse que celle qu’il entreprenait.

Elle lui dit, en partant, qu’il allait travailler pour lui-même en s’exposant pour elle, puisque, s’il réussissait, il lui serait libre de se choisir un époux ; et, s’il ne réussissait pas, qu’elle n’en choisirait jamais.

En ce temps-là, dès qu’une beauté se sentait de la tendresse, elle se hâtait de le dire, et les princesses en étaient tout aussi pressées que les autres. Tarare se jeta dix ou douze fois à ses pieds pour lui marquer un transport qu’il ne sentait pas : il s’étonna de trouver son cœur si peu rempli de son bonheur, car il sentait bien qu’il n’aimait pas tant qu’il le disait.

Le portrait de Luisante fut l’admiration de toute la cour ; il était si vivement peint, qu’on avait peine à soutenir ses regards, quoique ce ne fut qu’en peinture. Tarare découvrit au calife le secret dont il s’était servi pour peindre sa fille, et lui laissa ses lunettes pour la voir de temps en temps, lui recommandant que ce fût rarement, de peur d’accident ; mais le calife ne profita pas de cet avis, et s’en trouva mal.

On lui offrit, pour faciliter son entreprise, de l’argent et même des troupes ; mais il refusa l’un et l’autre, se recommanda seulement à la fortune, et se mit en chemin sans