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ment que tu témoignes pour une petite chatte blanche, qui dans le fond n’est propre à rien qu’à prendre des souris. » Le prince lui baisa la patte et partit.

L’on aurait de la peine à croire la diligence qu’il fit, si l’on ne savait déjà de quelle manière le cheval de bois l’avait porté, en moins de deux jours, à plus de cinq cents lieues du château, de sorte que le même pouvoir qui anima celui-là pressa si fort les autres, qu’ils ne restèrent que vingt-quatre heures sur le chemin. Ils ne s’arrêtèrent en aucun endroit jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés chez le roi, où les deux frères aînés du prince s’étaient déjà rendus : de sorte que, ne voyant point paraître leur cadet, ils s’applaudissaient de sa négligence, et se disaient tout bas l’un à l’autre : « Voilà qui est bien heureux ; il est mort ou malade, il ne sera point notre rival dans l’affaire importante qui va se traiter. » Aussitôt ils déployèrent leurs toiles, qui, à la vérité, étaient si fines, qu’elles passaient dans le trou d’une grosse aiguille ; mais pour dans une petite, cela ne se pouvait. Et le roi, très aise de ce prétexte de dispute, leur montra l’aiguille qu’il avait proposée, et que les magistrats, par son ordre, apportèrent du trésor de la ville, où elle avait été soigneusement enfermée.

Il y avait beaucoup de murmure sur cette dispute. Les amis des princes, et particulièrement ceux de l’aîné ; car c’était sa toile qui était la plus belle, disaient que c’était là une franche chicane, où il entrait beaucoup d’adresse et de normanisme. Les créatures du roi soutenaient qu’il n’était point obligé de tenir des conditions qu’il n’avait pas proposées ; enfin, pour les mettre tous d’accord, l’on entendit un bruit charmant de trompettes, de timbales et de hautbois :