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La chasse étant finie, elle prit un cor qui était long comme le doigt, mais qui rendait un son si clair et si haut, qu’on l’entendait aisément de dix lieues. Dès qu’elle eut sonné deux ou trois fanfares, elle fut environnée de tous les chats du pays : les uns paraissaient en l’air, montés sur des chariots, les autres dans des barques abordaient par eau ; enfin il ne s’en est jamais tant vu. Ils étaient presque tous habillés de différentes manières ; elle retourna au château avec ce pompeux cortège, et pria le prince d’y venir. Il le voulut bien, quoiqu’il lui semblât que tant de chatonnerie tenait un peu du sabbat et du sorcier, et que la chatte parlante l’étonnât plus que tout le reste.

Dès qu’elle fut rentrée chez elle, on lui mit son grand voile noir ; elle soupa avec le prince ; il avait faim, et mangea de bon appétit ; l’on apporta des liqueurs dont il but avec plaisir, et sur-le-champ elles lui ôtèrent le souvenir du petit chien qu’il devait porter au roi. Il ne pensa plus qu’à miauler avec Chatte blanche, c’est-à-dire à lui tenir bonne et fidèle compagnie. Il passait les jours en fêtes agréables, tantôt à la pêche ou à la chasse ; puis l’on faisait des ballets, des carrousels, et mille autres choses où il se divertissait très bien ; souvent même la belle chatte composait des vers et des chansonnettes d’un style si passionné, qu’il semblait qu’elle avait le cœur tendre, et que l’on ne pouvait parler comme elle faisait sans aimer ; mais son secrétaire, qui était un vieux chat, écrivait si mal, qu’encore que ses ouvrages aient été conservés, il est impossible de les lire.

Le prince avait oublié jusqu’à son pays. Les mains dont j’ai parlé continuaient de le servir. Il regrettait quelquefois de n’être pas chat, pour passer sa vie dans cette bonne com-