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plus belle biche que j’aie jamais vue ; elle m’a trompé cent fois avec une adresse merveilleuse ; j’ai tiré si juste, que je ne comprends point comment elle a évité mes coups : aussitôt qu’il sera jour, j’irai la chercher encore, et ne la manquerai point. » En effet, ce jeune prince, qui voulait éloigner de son cœur une idée qu’il croyait chimérique, n’étant pas fâché que la passion de la chasse l’occupât, se rendit de bonne heure dans le même endroit où il avait trouvé la biche ; mais elle se garda bien d’y aller, craignant une aventure semblable à celle qu’elle avait eue. Il jeta les yeux de tous côtes, il marcha longtemps, et, comme il s’était échauffé, il fut ravi de trouver des pommes dont la couleur lui fit plaisir : il en cueillit, il en mangea, et presque aussitôt il s’endormit d’un profond sommeil ; il se jeta sur l’herbe fraîche, sous des arbres où mille oiseaux semblaient s’être donné rendez-vous.

Dans le temps qu’il dormait, notre craintive biche, avide des lieux écartés, passa dans celui où il était. Si elle l’avait aperçu plus tôt, elle l’aurait fui ; mais elle se trouva si proche de lui, qu’elle ne put s’empêcher de le regarder, et son assoupissement la rassura si bien, qu’elle se donna le loisir de considérer tous ses traits. Ô dieux ! que devint-elle quand elle le reconnut ? Son esprit était trop rempli de sa charmante idée pour l’avoir perdue en si peu de temps. Amour, amour, que veux-tu donc ? faut-il que Bichette s’expose à perdre la vie par les mains de son amant ? Oui, elle s’y expose, il n’y a plus moyen de songer à sa sûreté. Elle se coucha à quelques pas de lui, et ses yeux, ravis de le voir, ne pouvaient s’en détourner un moment ; elle soupirait, elle poussait de petits gémissements ; enfin, devenant plus har-