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commune vengeance, et de retenir toujours la laide princesse prisonnière.

Il est aisé de juger de la douleur qu’eut le roi lorsqu’il reçut cette lettre. La séparation d’un fils si cher pensa le faire mourir. Pendant que tout le monde était occupé à le consoler, le prince et Becafigue s’éloignaient, et au bout de trois jours ils se trouvèrent dans une vaste forêt, si sombre par l’épaisseur des arbres, si agréable par la fraîcheur de l’herbe et des ruisseaux, qui coulaient de tous côtés, que le prince, fatigué de la longueur du chemin, car il était encore malade, descendit de cheval et se jeta tristement sur la terre, sa main sous sa tête, ne pouvant presque parler, tant il était faible. « Seigneur, lui dit Becafigue, pendant que vous allez vous reposer, je vais chercher quelques fruits pour vous rafraîchir, et reconnaître un peu le lieu où nous sommes. » Le prince ne lui répondit rien, il lui témoigna seulement par un signe qu’il le pouvait.

Il y a longtemps que nous avons laissé la biche au bois, je veux parler de l’incomparable princesse. Elle pleura en biche désolée lorsqu’elle vit sa figure dans une fontaine qui lui servait de miroir : « Quoi ! c’est moi ! disait-elle, c’est aujourd’hui que je me trouve réduite à subir la plus étrange aventure qui puisse arriver du règne des fées à une innocente princesse telle que je suis ! Combien durera ma métamorphose ? Où me retirer pour que les lions, les ours et les loups ne me dévorent point ? Comment pourrai-je manger de l’herbe ? » Enfin elle se faisait mille questions, et ressentait la plus cruelle douleur qu’il est possible. Il est vrai que si quelque chose pouvait consoler, c’est qu’elle était une aussi belle biche qu’elle avait été belle princesse.