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ARCHIBALD.

Oui, dans une boîte à momie avec des bandelettes et des yeux d’émail ; mais j’y renonce, monsieur.

FOGG.

Ah ! enfin.

ARCHIBALD.

Un coup d’épée au bras gauche à Suez, un second au bras droit à Bombay, et maintenant ici un troisième à la jambe… j’en ai assez. Un Américain ne saurait s’entêter dans une sottise. Je chercherai une autre excentricité. Je suis bien ici, j’y reste… nous y restons. Et je pense, madame, que vous vous y trouverez plus heureuse que dans vos États du Bundelkund.

AOUDA.

Mes États… oui… j’ai été souveraine… J’ai voulu l’être… Cette ambition d’enfant m’a perdue.

FOGG.

Comment cela ?

AOUDA, s’asseyant.

Ce parent chez qui nous étions élevées, ma sœur et moi, avait fait de grandes entreprises et s’y était ruiné. Un jour il vint me trouver et me dit : Tu es ambitieuse, Aouda ! (Souriant.) une ambitieuse de seize ans ! Le rajah qui t’a vue à Bombay t’offre de partager sa souveraineté… Moi, je me figurais un prince jeune et beau… que je pourrais aimer et qui m’offrait un trône !… Je me laissai éblouir, entraîner !… et quelques jours après, les gardes, les serviteurs du rajah vinrent pompeusement me chercher à Bombay. Je partis. Sur mon passage tout un peuple se prosternait et saluait mon entrée dans mes États… J’étais enivrée !… J’arrivai au palais de mon époux !… Le rajah était un vieillard malade, presque mourant, auquel m’avait livré un affreux marché… Quelques mois plus tard, il s’éteignait, et de cruels brahmanes ont voulu me sacrifier comme sa veuve… moi qui n’avais jamais été sa femme !

ARCHIBALD.

Oui ! mais vous leur avez heureusement échappé… mademoiselle !

AOUDA, étonnée.

Mademoi…

ARCHIBALD, saluant.

Mademoiselle, puisqu’enfin vous avez dit… que…