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moi qui t’ai perdu ! Je n’ai pu me contenir, en te retrouvant… là… devant moi… et tu n’as pas été maître de toi-même en voyant le knout levé sur ta mère !… Ah ! pourquoi n’as-tu pas laissé déchirer mes épaules ! Aucune torture ne m’aurait arraché ton secret !… Allons ! il faut marcher encore !… Je ne suis plus ici qu’à quelques verstes d’Irkoutsk ! C’est là peut-être que je le trouverai… Allons ! (Elle se lève et va sortir.) Les Tartares !

L’OFFICIER

, voyant Marfa.

Quelle est cette femme ?

LE SERGENT.

Quelque mendiante !

MARFA.

Je ne tends pas la main ! Je ne réclame pas la pitié d’un Tartare !

L’OFFICIER.

Tu es bien fière !… Que fais-tu ici ? où vas-tu ?

MARFA.

Je vais où vont ceux qui n’ont plus de patrie, qui n’ont plus de maison et qui fuient les envahisseurs ! Je vais devant moi jusqu’à ce que les forces me manquent… jusqu’à ce que je tombe… et que je meure !

LE SERGENT, au capitaine.

C’est une folle, capitaine.

L’OFFICIER.

Qui a de bons yeux et de bonnes oreilles ! Je n’aime pas ces rôdeurs qui suivent notre arrière-garde !… Ce sont autant d’espions. (À Marfa.) Pars, et que je ne te revoie pas, ou je te ferai attacher au pied d’un arbre, et là les loups affamés ne te feront pas grâce !

MARFA.

Loup ou Tartare, c’est tout vu !… Mourir d’un coup de dent ou d’un coup de fusil, peu m’importe !

L’OFFICIER.

Oh ! la vie a peu de prix à tes yeux !

MARFA.

Oui, depuis que j’ai perdu celui que je cherche vainement, mon fils que les tiens ont cruellement martyrisé !

(Marfa a repris-son bâton et va s’enfoncer à droite.)

LE SERGENT, à l’officier.

Capitaine, encore des fugitifs, sans doute.

(Il montre Strogoff et Nadia qui apparaissent au fond.)