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LXXIIII.



Vous qui d’un seul clin d’œil regissez l’univers
Que ne m’avez vous fait privé de coignoissance,
Ou prendre le trespas avecque la naissance :
Sans m’avoir asservi à tant de maux divers.

Que ne m’avez vous fait la pasture des vers,
Ou que n’avez vous fait qu’en prenant accroissance,
J’accreusse ma raison : qui pour son impuissance
S’attache sous le joug de ce traistre pervers.

Que ne suis-je un Rodope, un Æme, un Erimante,
Hé que ne suis-je au moins ceste fleur languissante
Dont on plaint la beauté : ou le roc endurci

De celle à qui despleut sa partie changee :
Mon ame ne seroit ainsi qu’elle est rangee,
Sous les loix d’un tyran qui n’a point de mercy.


LXXV.



Helas j’ay tant prié la mort à mon secours,
Pour voir avec mes os mes tourmens sous la Terre :
Que je sens peu à peu de ma cruelle guerre
Diminuer la force en celle de mes jours.

Voy voy donques mes pleurs rouller d’eternel cours,
Voy les profonds sanglots que mon ame desserre,
Et voy le dart meurtrier qui sans cesse m’enserre,
Force, tesmoing, principe, & fin de mes amours.

Mes pleurs ont hors de moy tant d’humeur attiree,
Et mes cuisans sanglots tant d’ardeur respiree,
Et le dart par ma playe, a tant perdu de sang,

Que seiché, froit, & palle, autour de toy je volle,
Sans poux, sans yeux, sans voix, comme une vaine idolle,
Portant l’Amour, la Mort, & la Vie à mon flanc.