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pas !... (Il lui fit visiter alors toute la maison, qui en était comble du haut en bas ; de la cave au grenier ce n’était que chiffons et savates) ; nous dépeçons tout ça ; nous le rapprêtons et en faisons des chaussures de pacotille, qui sont expédiées avec un grand bénéfice dans les colonies, dans les Indes… Voilà, monsieur, le savetier que je suis ! »

En voici bien long sur un sujet bien fade et bien roturier. Dieu veuille que le lecteur lassé ne s’écrie pas, en achevant ce bavardage : « Caligæ Maximini ! » comme on disait autrefois à ceux qui étaient longs à compter des sornettes, faisant allusion au soulier démesuré de cet empereur. — Maximin avait huit pieds de haut.

Nous avons préféré pour le titre de cet article le mot gniaffe à tout autre, parce que c’est le cordonnier gniaffe surtout que nous nous sommes proposé de peindre ; puis aussi parce que le mot gniaffe, comme tout ce qui s’est greffé sur l’argot, nous a semblé plus populaire et plus expressif. L’étymologie d’ailleurs en est brillante ; ainsi que la plus grande partie du jargon des voleurs, ce terme est d’origine hellénique, et vient du mot grec γυαφεύς, cardeur ou peigneur, et dérisoirement racleur ou gniaffe, forme de γυάφω, racler (anglais to gnaw ronger), c’est-à-dire racleur ou ratisseur de vieux cuir.



ENVOI.

Il y a en ce moment à Paris quarante mille ouvriers gniaffes (la plupart Lorrains, Barrois, Alsaciens ou Allemands de nation), six mille maîtres, et à l’usage de tout ce monde, deux bureaux de placement. J’espère que le lecteur voudra bien me savoir quelque gré si, devant une armée aussi formidable, j’ai su conserver ma hardiesse et mon franc parler. Il ne faudrait pourtant pas non plus qu’il s’exagérât trop mon courage ; car le gniaffe, l’avons-nous dit et pensons-nous l’avoir assez bien démontré, est un être peu dangereux de sa nature, plein de déférence pour la pratique, et tout à fait inoffensif à l’endroit de son semblable.