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NOUVELLE ÉTUDE

Mais, et cela nous intéressoit le plus, on doit rapporter la date du Reinardus vulpes à l’année 1148. Le poëme latin suivit donc de près la composition de la dernière branche du Renart françois, le Jugement. Quand un trouvère françois écrivit cette branche, Louis VII venoit de partir pour la croisade ; quand fut achevé le poëme latin, Louis VII n’étoit pas encore revenu. Alors Roger, qui prit le titre de roi de Sicile en 1249, n’étoit encore que duc de Pouille ; des bruits très-fâcheux circuloient sur la part qu’il avoit prise au mauvais succès du saint voyage, en décidant les deux souverains d’Allemagne et de France à choisir le chemin de Constantinople au lieu de suivre la voie de mer, qui de Messine les auroit conduits directement en Syrie. La calomnie n’épargnoit ni saint Bernard ni le pape Eugene III, qu’on présentoit comme le complice de Roger. L’auteur du Reinardus vulpes s’arrête sur l’accusation avec une insistance marquée, témoignant une fois de plus de la liberté qu’on laissoit alors aux écrivains de dire tout ce qu’ils vouloient, pourvu que la question dogmatique n’y fût pas intéressée.

« Le pape, artisan de fraude, a, » dit-il, « vendu les chrétiens au duc de Sicile. Honte et douleur ! un seul moine, évitant pour lui le danger, a causé la ruine de deux royaumes…. N’avons-nous pas vu comment on avoit enflammé le zèle des chrétiens contre les barbares, et quelles prospérités on avoit promises à ceux qui feroient le voyage ?… »

Et plus loin, Renart, sous ombre de répondre à ces imputations, vient ainsi les aggraver : « Ô perfide Salaure, ton intention, je le vois, est d’accuser le pontife romain d’une connivence crimi-