Page:Les aventures de maître Renart et d'Ysengrin son compère, trad. Paulin, 1861.djvu/343

Cette page a été validée par deux contributeurs.
327
SUR LE ROMAN DE RENART.

decin ; le Renard et le Bouc dans le puits ; le Loup devenu moine, berger et pêcheur d’anguilles. Mais toutes ces pièces latines n’étoient réellement connues que dans les écoles, jusqu’à ce qu’un premier trouvère s’avisa d’en introduire le sujet dans le domaine de la poésie vulgaire.

Par là, je n’entends pas dire que les récits latins conservés soient nécessairement antérieurs à nos romans françois ; mais seulement que les récits latins ont été les avant-coureurs des récits vulgaires, et qu’il faut ajouter une foi sincère aux trouvères même les plus anciens, quand ils nous disent qu’ils parlent d’après le livre, d’après l’histoire écrite. Le livre existoit réellement, l’histoire avoit été réellement composée. Et, dans ces premiers temps, qui disoit histoire ou livre ne pouvoit entendre qu’histoire ou livre écrit en latin.

Trois grandes compositions, parvenues jusqu’à nous, ont partagé la critique moderne, qui tour à tour a réclamé pour chacune d’elles le mérite de l’antériorité. C’est le Renart françois, le Reinardus vulpes latin et le Reineke fuchs flamand ou allemand.

À la différence de ces deux derniers ouvrages, le Renart françois n’est pas un seul poëme composé par un seul auteur. C’est une réunion de récits faits en divers temps, en divers lieux et par deux ou trois poëtes qui, loin de s’entendre entre eux, cherchèrent à se faire oublier l’un l’autre. On conçoit que les trouvères et les jongleurs, souvent clercs ou moines manqués, et dont la profession étoit de parcourir en tous sens la France pour y dire