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CINQUANTIÈME-CINQUIÈME AVENTURE.

Puis il se remit en marche avec son prisonnier ; il gravit une montagne d’où l’on planoit sur le vallon dont la Cour du Roi remplissoit l’étendue. Il contemple de là ceux qui venoient de le condamner et qui murmuroient de la foiblesse de Noble ; il fait un grand cri pour attirer l’attention générale, et décousant aussitôt la croix qu’on lui avoit attachée. « Sire Roi, » dit-il, « reprenez votre lambeau, et Dieu maudisse qui m’encombra de ce bourdon, de cette écharpe et de toute cette friperie. » Il leur jette bourdon, écharpe et croix, leur tend le derrière et reprend : « Écoutez, sire Roi : je suis revenu de Syrie où j’étois allé par vos ordres. Le sultan Noradin[1], me voyant si bon pénitent, vous mande salut de par moi. Les païens ont tellement peur de vous qu’ils se mettent à la fuite dès qu’on prononce votre nom. » Pendant qu’il se plait à les gaber ainsi, damp Couart prend ses mesures, s’échappe, et mettant une bonne distance entre Renart et lui, retourne aux lieux où siégeoit la Cour. Il arrive les flancs brisés, la peau déchiquetée ; il se jette aux pieds du Roi, il raconte en haletant le nouveau méfait

  1. Nourreddin, sultan d’Alep en 1145, puis de Damas et d’Égypte. Le fameux Saladin, un de ses émirs, lui succéda vers 1174.