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QUARANTE-SIXIÈME AVENTURE.

grace à la sienne que j’y réunirai. Allons ! allumez les cierges, asseyons-nous au manger ; nous n’avons déjà que trop tardé pour un goupil. De l’eau ! et lavons ! »

Ils s’asseyent au soupper. D’abord le Chevalier et, près de lui, la dame épousée, belle, gracieuse et riante comme le doux nom de Florie qui étoit le sien ; la mesgnie occupe les autres places. Arrivent les grands mets : des lardés ou filets de cerf et de sanglier, de bons vins d’Anjou, de Poitou, de la Rochelle. On tient de plaisans propos, on rit surtout de Renart qui les a tous si bien joués. Renart en personne n’étoit pas loin : alléché par le fumet des viandes, il se glisse sous la table et de là entend comme on parle de lui. Sur le dressoir, à quelques pas, se trouvoient deux belles perdrix lardées ; Renart prend son temps, fond sur elles, emporte la plus grasse. On le reconnoît, on s’écrie : « Ah ! le voilà ! nous l’avons ; cette fois il n’échappera pas. » Tous se lèvent aussitôt, mais ils ont beau courir, chercher, fermer les portes, Renart les a devancés ; il avoit à toutes jambes gagné dans la cour un trou de sa connoissance, par où s’écouloit l’eau des grandes pluies, et tandis qu’on le traque à flambeaux, à chandelles, par les salles, les soliers, les caves, les cuisines et les écuries, il est tranquille dans un réduit éloigné, découpant à belles dents