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QUARANTE-ET-UNIÈME AVENTURE.

entr’ouverte, on vous a fait prendre, en verité, une peine bien inutile. J’allois partir pour me rendre à la cour du Roi, aussitôt que j’aurois eu mangé d’un excellent mets françois. Car vous le savez aussi bien que moi, damp Brun : quand un homme riche ou puissant vient en cour, tout le monde s’empresse autour de lui. C’est à qui tiendra son manteau, c’est à qui lui dira : Lavez, lavez, Sire ! On lui sert le bœuf au poivre jaune ; toutes les viandes délicates qui passent devant le Roi. Mais il en est autrement de celui qui n’a pas grande charge et force deniers : on le diroit sorti de la fiente de Lucifer. Il ne trouve place au feu ni à la table ; il est obligé de manger sur ses genoux, et les chiens de droite et de gauche viennent lui enlever le pain des mains. Il boit une pauvre fois, deux fois tout au plus et du moindre ; il touche à une seule espèce de viandes, et les valets ne lui donnent que des os à ronger. Tristement oublié dans un coin, il devra se contenter de pain sec, tandis que les grands et bons plats, servis par les queux et les sénéchaux à la table du maître, sont mis de côté pour être envoyés aux amies chères de ces cuistres que le démon puisse emporter ! Voilà, sire Brun, pourquoi j’ai, ce matin avant de partir, fait la revue de mes