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font tant de découvertes pour être utiles, faut il que d’autres se donnent tant de mal pour être nuisibles. Vraiment, n’est-ce pas une abomination de tuer des gens, qu’ils soient Prussiens, ou bien Anglais, ou bien Polonais, ou bien Français ? — Si l’on se revenge sur quelqu’un qui vous a fait tort, c’est mal, puisqu’on vous condamne ; mais quand on extermine nos garçons comme du gibier, avec des fusils, c’est donc bien, puisqu’on donne des décorations à celui qui en détruit le plus ? — Non, voyez-vous, je ne comprendrai jamais ça ! »

Cornudet éleva la voix :

— « La guerre est une barbarie quand on attaque un voisin paisible ; c’est un devoir sacré quand on défend la patrie. »

La vieille femme baissa la tête :

— « Oui, quand on se défend, c’est autre chose ; mais si l’on ne devrait pas plutôt tuer tous les rois qui font ça pour leur plaisir ? »

L’œil de Cornudet s’enflamma :

— « Bravo, citoyenne ! » dit-il.

M. Carré-Lamadon réfléchissait profondément. Bien qu’il fût fanatique des illustres capitaines, le bon sens de cette paysanne le faisait songer à l’opulence qu’apporteraient dans un pays tant de bras inoccupés et par conséquent ruineux, tant de forces qu’on entretient improductives, si on les employait aux grands travaux industriels qu’il faudra des siècles pour achever.

Mais Loiseau, quittant sa place, alla causer tout bas avec l’aubergiste. Le gros homme riait, toussait, crachait ; son énorme ventre sautillait de joie aux plaisanteries de son voisin, et il lui acheta six feuillettes