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son âge, travaillait à côté de lui. Quelquefois, l’après-midi, Maria se mettait à chanter quelque romance langoureuse, dont elle recommençait éternellement les couplets, d’une voix traînante et monotone. Et le père de Gabriel était alors au tribunal ! Et un reflet de soleil couchant entrait par la fenêtre ouverte, venait jaunir la vieille étude obscure ! Il ne comprenait pas bien encore le sens des mots : « Amant… maîtresse… amour… » dont étaient remplies les romances de Maria. Pourtant, ces soirs-là, à peine était-il couché, et sa mère avait-elle emporté la lumière, qu’il revoyait par la pensée la fenêtre aux capucines et aux volubilis. La tête dépeignée de Maria apparaissait ! Et voilà qu’elle venait de se glisser dans sa chambre ! Elle était là maintenant, à côté de lui, dans son lit ; il la tenait embrassée, et lui disait bien bas : « Je t’aime ! je t’aime ! » jusqu’à ce qu’il fût endormi. Parfois, il le lui disait encore pendant son sommeil.

Puis, brusquement, à partir d’un certain jour, Maria avait cessé de chanter. Plus la même : répondant à sa mère quand celle-ci la grondait ! fondant tout à coup en larmes ! l’œil cerné d’un cercle sombre ! Un matin, qu’il la regardait à la dérobée arrosant ses volubilis, ne lui avait-il pas semblé voir une grosse larme tomber dans la caisse en bois. Elle avait à coup sûr quelque chose. Puis un soir, de sa chambre, dont la fenêtre donnait à côté de celle du cabinet, il avait entendu une scène violente : « Salope ! Garce ! criait le père de Maria. Enceinte ! et sans vouloir nous dire de qui, encore !… Tiens, garce ! Tiens, salope ! » Et chaque injure était un coup différent. Il entendait distinctement le bruit mat de la tête de la pauvre fille cognée aux meubles. Jusqu’au jour, Maria avait hurlé