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nouvelle, il ronflait, très fort, comme quelqu’un harassé de fatigue. Et ce ronflement mit hors d’elle madame de Plémoran.

Ce ronflement l’empêchait de suivre le fil de ses pensées. Maintenant elle regrettait de s’être chargée du blessé. Elle n’avait écouté que la compassion, elle s’était décidée bien vite ! Les personnes chez qui le premier mouvement est celui du cœur, doivent se défier du premier mouvement. Elle réfléchissait trop tard ! Si elle rencontrait des Prussiens, la présence dans sa charrette de ce soldat français en uniforme et armé de son fusil, pouvait lui devenir très préjudiciable. Aussi, à la première habitation qu’elle rencontrerait, elle se débarrasserait du blessé ; même, si elle croisait sur la route quelque voiture, elle entrerait en pourparlers pour s’en débarrasser tout de suite, avec de l’argent. En attendant, bien que la route montât de nouveau, elle rouait de coups le cheval pour le faire galoper, afin que le bruit des roues couvrît ce ronflement qui l’agaçait.

Vers minuit et demi, Gabriel Marty se réveilla.

Il se sentait mieux. Les quelques gorgées de rhum avalées, quatre ou cinq heures de profond sommeil, lui avaient rendu quelque force. Désenflammée par le repos, sa blessure au pied le faisait moins souffrir.

Ce sentiment de bien-être fut traversé à peine par le ressouvenir qu’il se trouvait étendu à côté d’un cadavre. Que lui importait, après tout, que derrière cette planche il y eût un homme mort ! La draperie noire n’offusquait même plus ses regards ; elle avait fini par glisser entre le cercueil et le fond de la charrette. Cet homme, il ne l’avait jamais vu ! D’ailleurs, depuis quelques jours, la mort était chose commune