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lée, sa tante, quand elle n’était pas à prier dans la chapelle au fond du parc, lui faisait réciter son catéchisme, l’épouvantait sur les supplices de la damnation éternelle, ou lui expliquait des recettes pour conserver les pommes. Son cousin germain, de quinze ans plus âgé qu’elle, « Monsieur Trivulce », mauvais comme une gale et égoïste comme un fils unique, bien que déjà fiancé à « Mademoiselle Édith », ne se souciait pas plus d’elle que d’une de ces pauvresses en haillons qu’il mettait en fuite à coups de pierre, lorsqu’il les apercevait glanant quelques branches de bois mort. Un des grands amusements de « Monsieur Trivulce » pendant les récréations que lui laissait l’abbé son précepteur, ne consistait-il pas à pousser, à pincer ou à battre celle qui devait devenir sa femme. Il l’eût peut-être estropiée pour la vie sans la protection de sa nourrice, à elle, bonne Bretonne, née à Plémoran, ne sachant ni lire ni écrire : une imagination naïvement poétique qui lui racontait toute sorte de légendes.

De ces légendes, sucées en bas âge comme un lait héroïque et merveilleux, des portraits de famille, quelques-uns noirs de la poussière de plusieurs siècles, accrochés dans les immenses galeries, des vieilles tapisseries seigneuriales usées jusqu’à la trame, de l’atmosphère même, sombre et rance, de ce séjour peu récréatif, « Mademoiselle Édith » avait évoqué une idéale créature. Forcée de vivre en dedans, portée à la rêverie par la contrée elle-même, par ce ciel couvert, par ces grands bois, par les coups sourds de l’Océan non loin de là martelant la falaise, par le vent s’engouffrant dans les vieilles croisées disjointes et mugissant à travers les interminables corridors, elle fût morte sans cette compagne invisible