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— Madame de Pahauën ! s’écrie le général, et il répète à plusieurs reprises « Pahauën, Pahauën, » comme pour se convaincre lui-même de la réalité de ce qu’il dit.

— Accordé, oui, oui ; je sais ce dont il s’agit. Donnez en même temps l’ordre de conduire cette dame à l’hôtel de l’état-major.

Et comme s’il craignait d’en avoir trop dit, et d’avoir, par sa vivacité de parole, trahi la chaleur de sa passion, il ajoute cette phrase hypocrite :

— C’est là que je l’interrogerai, donnant ainsi à croire qu’il s’agit des intérêts de la patrie, et qu’il s’en préoccupe.

Tac, tac, tac, le manipulateur fonctionne ; s’il osait cependant, il forcerait l’employé à travailler plus vite. Tac, tac, tac, la dépêche s’en va peu à peu avec un petit bruit saccadé, et le général s’impatiente : jamais le télégraphe ne lui a paru si lent. Au loin le canon tonne toujours. Soudain les grondements diminuent à droite, diminuent à gauche. Les fumées qui s’envolent découvrent les collines, Meudon, Clamart, Sèvres, et dans le ciel un moment rasséréné le clocher de Saint-Cloud, seul, debout au milieu des ruines du village, lève sa pyramide blanche. Au-dessus du Mont-Valérien quelques rares flocons se traînent encore, tandis que le bruit des détonations décroît et meurt au loin dans les profondeurs des échos, en sourdine.

Alors pendant que les deux peuples qui, depuis six mois, s’acharnent l’un sur l’autre, et se mitraillent, et se battent, et s’écharpent, dans un effrayant spectacle qui tient l’Europe attentive, s’arrêtent un moment, pendant que la France et la Prusse, enra-