Page:Les Soirées de Médan.djvu/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.

stratégie, du reste, n’agit pas plus que sa plume. Il ne tente plus rien, il attend. La misère de ses dernières sorties a aiguillonné contre lui l’ironie de la population et il s’en venge. Il impute à tout le monde, à toutes choses, la fréquence de ses insuccès. Des fureurs hiérarchiques le secouent, hantent son cerveau, mènent sa main ; sa colère s’exhale contre ces boutiquiers et ces citadins qui se permettent d’apprécier les actes d’un militaire, d’un général. Il vient de signer le rapport quotidien, le renseignement officiel qui sera communiqué à tous les journaux ; il y est dit : « Des obus sont tombés au Point-du-Jour, des civils seulement ont été atteints, » et il s’applaudit, il trouve l’ironie finement cruelle.

De temps en temps, dans la déroute de ses stratagèmes, convaincu de son impuissance, un vieux reste de dévotion lui revient. Il éprouve le besoin de croire en Dieu : il voudrait qu’elles fussent encore possible ces grandes victoires des Gédéons intervenant avec des poteries qui repoussaient l’ennemi, ces grands renforts de Samsons faisant, d’un coup de poing, crouler les villes sur les assiégeants, et vaguement, se laissant aller à d’invraisemblables légendes, il rêve de triomphants libérateurs, comme ceux-là qui apparaissent soudainement dans les batailles des époques bibliques. Il espère la vision de Constantin, le labarum sacré entrevu dans les nuages promettant la victoire, et se souvenant d’Attila que les histoires représentent comme s’éloignant de Paris sur les prières d’une bergère, à tout hasard il a recours à sainte Geneviève et vient de songer à faire une neuvaine. Autour de lui, les dépêches télégraphiques s’accumulent, toujours mauvaises ; il en manie dis-