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se réaliser. Paris crachait de toutes ses bouches à feu, et Versailles s’allumait, tout entier, d’une grande lueur. Dans les rues, des estafettes couraient, autour des troupes pesamment massées, des commandements s’échangeaient. Les fenêtres des maisons s’éclairaient, et tandis que les troupes s’éloignaient dans la ville soudainement abandonnée et pleine de silence, les questions commençaient. Les Prussiens, vigoureusement attaqués à l’improviste, n’allaient pas pouvoir se défendre, c’était la sortie, la sortie en masse, la sortie victorieuse. D’enthousiastes espérances s’échauffaient en bonnet de nuit sur le pas des portes, chacun tendait l’oreille, interprétant tous les bruits dans un sens favorable. Le fracas des caissons, roulant là-bas dans les ténèbres, était pris pour celui des bagages du roi Guillaume qu’on emmenait pour les sauver du désastre certain et les ravir à la capture. On regardait le château, aucune lumière n’y brillait, et dans l’accès d’optimisme qui secouait la population, chacun concluait nécessairement que l’état-major allemand, saisi de peur, s’était enfui.

Mme de Pahauën était belle, surtout dans ces circonstances où l’imagination débordait. Fille du peuple, nourrie de la lecture des romans-feuilletons, l’esprit hanté par ces conceptions saugrenues qui se déroulent dans la folie de l’absurde et se dénouent avec des complications extraordinaires, elle avait des affirmations bouleversantes qu’elle débitait avec un imperturbable aplomb. Ainsi, elle donnait comme certain que le château de Versailles était miné. Les Parisiens attendaient seulement le moment favorable : une étincelle électrique, et v’lan le roi Guillaume, avec son état-major, sautait en l’air, d’un seul coup. Elle était sûre,