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sien, voici que la misère venait qui allait la forcer à toutes les soumissions. Alors elle se révolta. Elle consentait bien à être la courtisane éclatante que maudissaient les Juvénals, et qui, malgré tout, sent l’admiration des badauds soulevée autour d’elle avec la poussière de sa voiture, quand elle passe si majestueusement insolente que le doute vient aux honnêtes gens et qu’un désir mauvais gonfle le cœur des humbles. Mais quoi donc, maintenant, elle tombait à ce point qu’on la prenait pour une prostituée vulgaire et qu’on offrait de son sourire et de sa chair un prix déterminé, elle qui, jadis, sur la promesse d’un baiser, avait ruiné des familles et amené la faillite de banquiers !

Il lui sembla comprendre. Assurément quelque chose d’épouvantable s’était passé, quelque chose dont sa tête écervelée ne s’était pas rendu compte. Si elle était déchue ainsi, un cataclysme terrible avait certainement frappé autour d’elle, quelque part. Dans ses malheurs personnels, elle eut la notion d’infortunes générales : elle entrevit la misère de la catastrophe commune, et dans la déroute de son opulence elle devina des infinis de désastres, d’irréparables immensités de ruines. Ainsi, c’était donc ça l’invasion, c’était donc ça la guerre !

D’un bout à l’autre de la France, Mme de Pahauën rêva de femmes comme elle, abandonnées, sans le sou, s’endettant dans la nudité sale des chambres d’hôtel, au milieu du marchandage des luxures et du trafic des entremetteuses. La patrie envahie lui apparut comme un endroit de désolation où les courtisanes même n’avaient plus la liberté de leurs corps et le choix de leurs amants. La douleur lui donna un peu d’intelligence. Un élan d’enthousiasme patrio-