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L’ATTAQUE DU MOULIN

calme. La nuit était tombée, une nuit étoilée et très claire. Dominique et Françoise, assis sur un banc, l’un près de l’autre, ne disaient rien. Un vieux paysan parlait de la guerre que l’empereur avait déclarée à la Prusse. Tous les gars du village étaient déjà partis. La veille, des troupes avaient encore passé. On allait se cogner dur.

— Bah ! dit le père Merlier avec l’égoïsme d’un homme heureux, Dominique est étranger, il ne partira pas… Et si les Prussiens venaient, il serait là pour défendre sa femme.

Cette idée que les Prussiens pouvaient venir parut une bonne plaisanterie. On allait leur flanquer une raclée soignée, et ce serait vite fini.

— Je les ai déjà vus, je les ai déjà vus, répéta d’une voix sourde le vieux paysan.

Il y eut un silence. Puis, on trinqua une fois encore. Françoise et Dominique n’avaient rien entendu ; ils s’étaient pris doucement la main, derrière le banc, sans qu’on pût les voir, et cela leur semblait si bon, qu’ils restaient là, les yeux perdus au fond des ténèbres.

Quelle nuit tiède et superbe ! Le village s’endormait aux deux bords de la route blanche, dans une tranquillité d’enfant. On n’entendait plus, de loin en loin, que le chant de quelque coq éveillé trop tôt. Des grands bois voisins, descendaient de longues haleines qui passaient sur les toitures comme des caresses. Les prairies, avec leurs ombrages noirs, prenaient une majesté mystérieuse et recueillie, tandis que toutes les sources, toutes les eaux courantes qui jaillissaient dans l’ombre, semblaient être la respiration fraîche et rythmée de la campagne endormie. Par instants,