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rière eux, dans l’état-major, des conversations s’élevaient, pleines de blâmes, lourdes de craintes.

Les officiers parlaient de Mme de Pahauën, en faisant précéder son nom, du la, de cet article par lequel s’exhalent les mépris pour les filles bien en vue et les courtisanes trop célèbres. Ils l’appelaient la Pahauën, tout étonnés au dedans d’eux par cette étrange et obscure puissance de la femme dont les sourires faisaient obéir les plus forts, et dont la grâce pouvait, au gré de son caprice, détruire les gouvernements et ruiner les villes. Dans l’accablement de leur stupéfaction, ils n’arrivaient pas à comprendre comment le général en chef avait pu s’acoquiner avec ces jupons désordonnés dont les dentelles, autour d’eux, apportaient invinciblement une menace de désastre.

Et c’était justement à cause de la frénésie de sa gaieté et de l’exubérance de sa fantaisie que le général avait choisi Mme de Pahauën. Avec ses envolées, ses gamineries sensuelles, ses bavardages de perruche lâchée, elle le délassait au milieu de la gravité de ses occupations, lui faisait oublier le poids de ses responsabilités. Et maintenant qu’elle est partie, négligeant les affaires urgentes, laissant s’accumuler devant lui les dépêches télégraphiques auxquelles il ne daigne pas faire une réponse, triste et grave, il songe. Il revoit les premiers jours de sa liaison, la douceur des premières rencontres, les attendrissements de sa lune de miel dans la ville en armes, leurs promenades dans ce Paris debout et frémissant sous les premières bordées du canon des forts.

Le hasard avait fait la présentation. Un jour, dans son cabinet, elle l’était venue trouver, brusquant les domestiques avec un bon mot, forçant les portes