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mène à tout, le savoir qui élève et qui distingue. Pendant ce temps, Mme de Pahauën, indifférente et libre, courait les bals, les réceptions, était de tous les petits couchers, de tous les grands soupers. Amazone, les jours de chasse, elle galopait le voile au vent dans les taillis de Compiègne pleins des abois des chiens, du roulement des voitures et des fanfares des piqueurs. Dans les tableaux vivants, son maillot de soie couleur de chair, inondé de lumières oxhydriques, elle étalait la largeur de ses hanches, l’ampleur de sa gorge, et des talons jusqu’au sourire, la grasse et provocante impudeur de son corps de statue. Dame de charité, on avait l’occasion de la voir, les jours de vente au profit des pauvres, offrir volontiers tout ce que sa toilette laissait passer de peau aux baisers des messieurs dont ses complaisances vidaient les porte-monnaies. Puis, subitement, elle disparaissait. Ses meilleures amies disaient qu’elle s’enterrait ; d’autres prétendaient qu’elle tombait à de grandes dévotions, et qu’elle allait suivre, dans des couvents bien famés, des retraites très austères. La vérité était qu’elle s’enfermait, par caprice de débauche blasée, avec des petits jeunes gens que son plaisir était de dépraver. Alors on la rencontrait promenant dans les églises un deuil mensonger et luxueux. Toujours accompagnée d’une bonne, elle rentrait dans une petite maison des Batignolles ou de Passy, et les fruitières, les concierges, toutes les commères qui s’asseyent sur le pas de leurs portes et surveillent le va-et-vient de la rue, avaient de hautes et profondes pitiés pour une pauvre jeune femme si subitement devenue veuve. Ses générosités servaient à dissimuler les écarts secrets de sa con-