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la dépensait fiévreusement à maintenir les initiatives et à empêcher les audaces. Correct, précis, mais savant sans profondeur, intelligent sans élévation, et tenace jusqu’à la sottise, il se détendait seulement dans l’intimité avec Mme  de Pahauën, dont les remuements, les gentillesses, les gamineries d’écureuil échappé, fouettaient ses sens lassés par la fatigue de plusieurs campagnes, contrastaient le plus avec la mathématique lourdeur de son cerveau.

Mme  de Pahauën avait été mariée, plusieurs fois, à des individus dont aucun ne lui avait laissé son nom. Dans la galanterie du monde impérial, dont elle avait fait l’éclat, les mieux renseignés affirmaient que le nom qu’elle portait n’était qu’un nom de guerre, ramassé dans un roman, ou trouvé parmi les personnages secondaires d’un drame du boulevard. Ses maris n’avaient guère été que des passants, lesquels n’encombraient guère son lit, et si peu gênants qu’ils ne dérangeaient même pas son état civil de fantaisie. C’étaient ordinairement des Durand, des Bernard, des Dumont employés de ministère aux figures louches, aux appétits voraces. Vieillards tout en vices, ou jeunes gens tout en ambitions, ils consentaient à la tirer enceinte des bras de son amant (un haut personnage qui s’engageait à les protéger), la voyaient quelque temps après la célébration du mariage, et puis une séparation à l’amiable survenait. Un jour, les deux époux s’en allaient chacun de son côté, et ne s’occupaient plus l’un de l’autre. L’employé donnait son nom à l’enfant, obtenait dans son bureau des gratifications nombreuses, des avancements rapides, et vieillissait décoré, ayant aux lèvres des phrases sur l’honnêteté, la bonne conduite, le travail qui