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les fait voler en l’air, et elle chantonne le refrain de la chanson à la mode :


C’est le sire de Fich-ton-khan
Qui s’en va-t-en guerre.


L’état-major stupéfait regarde. Le général interdit tord fiévreusement sa moustache : il est si interloqué qu’il ne trouve pas une parole. Autour de la table, sous la lueur charbonnante de la lampe, tout le monde se tait, accablé par cette débauche d’inconvenance.

— Eh bien quoi ? c’est pour tout ça que vous êtes réunis ? Merci, là vrai, si vous vous croyez rigolos. Tenez, voulez-vous que je vous dise, vous vous courbaturez à faire semblant de prendre au sérieux des choses qui vous embêtent. Suffit, en place, repos ! Rompez les rangs !

Et prenant sur la table, au hasard, un képi galonné qui traîne, elle s’en coiffe audacieusement, et d’une voix grave de président, déclare la séance levée.

Le général en chef bondit ; il est tout pâle d’humiliation. Il marche vers l’envahissante visiteuse, les poings fermés, avec une colère blanche. Elle se recule, tourne autour de la table et lui rit au nez d’un rire clair, communicatif, qui commence à gagner l’état-major sérieux.

— M’attrapera, m’attrapera pas !

— Madame, dit le général d’une voix couroucée, madame.

— Oh ! va, tu peux m’appeler Huberte, ces messieurs ont beau être là, ils ne nous gênent pas.

— Madame, répète le général. Il va la saisir. Déjà ses mains, qu’agitent un frisson de colère, un besoin