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bat au côté, il se rassied tranquillement. Autour de lui un sourire court, le mot est trouvé très spirituel. Le général même l’approuve d’un signe de tête, puis, il remonte la lampe qui fume, hausse la mèche, et ânonnant entre ses dents la dernière phrase, celle où il a dû s’interrompre, il se dispose à reprendre sa lecture.

Soudain des petits coups discrets sont frappés à la porte, un murmure de voix est entendu, comme la vague querelle d’un importun qu’un huissier refuse de laisser entrer. Bientôt, les coups recommencent, l’état-major écoute : « Aux armes, citoyens, formez vos bataillons, chante la foule sur la place avec un accent de désespoir que n’assourdissent ni les boiseries, ni les tentures ; « Marchons, marchons, qu’un sang impur abreuve nos sillons », et dans l’éclat suprême que les voix prennent, sur les dernières notes du refrain, la porte s’est ouverte, curieusement :

— Peut-on entrer ? Entre-t-on ? Bah ! tant pis, j’entre.

Alors, des talons de bottines résonnent sur le parquet au milieu d’un froufrou de jupons empesés, et une femme fait irruption dans la salle, souriante.

Son chapeau noir, de forme très simple, est orné d’une cocarde en rubans tricolores, et sous un voile de tulle blanc, très serré sur le nez, les traits de sa figure s’atténuent, la font paraître jeune. Elle est de haute taille, et marche d’un pas hardi, vêtue d’un grand manteau de fourrure qui porte au bras gauche l’insigne de la convention de Genève : la croix des ambulances, rouge sur un fond blanc.

— Salut, mon général.