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LE VI VELU. 5(i9

Du reste, il nedomaiulait ijun tenir dans le luomlo le niuiiis <le |»lace possible ; il faisait bon niaiclié de riiulépendaucc de sa personne pour assurer la liberté de ses goûts. (I Si j’eusse été dévot, nie disait-il, je n’aurais récité d’autre prière que celte phrase de l’oraison dominicale : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour. 1)

Cet enirelieu avait lieu sur nu balcon, sous les rayons d’un beau soleil de printemps ; le port et le lleuvc étaient animés par le mouvement du commerce ; les bateaux à vapeur de la Haute-Seine passaient à chaque instant sous nos yeux : tous ces mille louncauM|ui s’étendaient vers la berge, cette agitation d’un négoce qui ne se lait qu’au biiiit des verres, evcilaicnt la verve d’.dulphe ; il parlait et il buvait ; il vantait le vin et s’etasiail devant le ravissant coupd’œil que présentait le paysage : à force d’admirer et de boire, après avoir pris du café fait par lui et pour lui , après les trois verres de liciueurs variées qu’il appelait la Trinité alc(K)li<iue , il élail chancelant ; il s’aper( ;ut que je le regardais avec un pénible élonnement. « Voila pour(|noi, me dit-il, j’ai voulu venir déjeuner ici ; chez Tortoni , ou ne se grise pas ; du reste . on ne doit jamais se griser dans le jour : j’ai trop causé, c’est une faute , nue grande faute, une très-grande faute, entendez-vous, jeune homme... » il balbutiait.

Mollis riait et veillait sur lui.

Il était trois heures ; j’étais cuiieux de savoir comment le viveur remplirait l’intervalle qui sé|iare le déjeuner du diuer ; je ne voyais guère pour combler celle lacune que le léger somme du prélat du Lutrin.

Adolphe était à(’y sur la porte, batifolant avec l’écaillère, et échangeant des lazzis gi’ivois avec des ouvriers du port qui s’amusaient de sa bonne humeur. Un fiacre vint h passer, il le héla d’une voix de Stentor, et le Gl arrêter. Tous trois nous eutrànies dans la voilure, et le cocher reçut l’ordre do nous conduire aux Champs-Elysées. Chemin faisant. Adolphe était d’une gaieté folle ; il rappelait iiNollis ses meilleurs contes et quelques traits de leur existence de buveur ; les disgrâces de l’ivresse, les divertissantes bévuesqu’ellc leur avait fait commettre, les saillies qu’elle leur avait inspirées, et toutes les mereilles qui avaient illustré la vie et le nom de (|uelques-uns de leurs compagnons de table, ceux qu’Adolphe nommait avec eni-. phase les premiers ît/tm du siècle ; car les viveure jurent par leur verre, comme les rafflnés d’honneur juraient par la lame de leur cpée. Que d’amusantes histoires ! C’était une épopée contemporaine ; quelquefois cela ressemblait ’a uu chapitre de la vie de Gargantua et de Grandgousier. C’était un viveur qui avait eu la sublime idée du lampion libérateur placé sur un ami abattu sous l’ivresse , et qu’il fallait préserver des roues de carrosse. In viveur voulait faire la connaissance d’un homme dont on célébrait les prouesses bachiques : il pénétra dans le logis de celui qu’il désirait voir, au milieu de la nuit ; sans l’éveiller, il dressa la table, la courit d’un souper succulent , puis, silencieuv comme une apparition , il lit lever son hôte, le lit asseoir, l’invita par geste a souper. Ils burent et mangèrent jusqu’au matin, sans échanger entre eux un seul mol. Au point (lu jour, relui qu’on avait visité d’une si étrange manière dit ;i l’aulre : " Vous