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228 LA FEMME DE CHAMBRE.

et lit le soir, dans sa niansaidc, ciux <w rainmir lui faii passer t-ii conlrebande. Elle confond, dans ses eKalions lilléiaircs, MM. de Lamartine et Paul d<’ Koek, MM. de Balzac et l’igauli-Lebriui ; elle sait les noms des plus {grands artistes, accompagne quelquefois sa maîtresse à Saint-Iîoch ou à l’exposition, parle musique et peinture, et estropie d’un petit air pédant , di’vani l’office ébahi, les phrases à la mode et les expressions techniques, lille pousse quelquefois la manie de l’imitation jusqu’A s’ajuster, lien (jiic pour voir, les parures de sa maltresse. Celle-ci , rentrant A l’improviste dans sa chambre h coucher, surprend sa femme de chambre minaudant devant la glace, A la grande satisfaction du beau chasseur, qui, de son coté, marclie, se penche sur elle d’un air galant , et reproduit assez heureusement la pose, les gestes et la démarche de son niailre. (irand est le scandale, et peu s’en faut que la dame de contrefaçon ne s’en aille coqueter tout à son aise , hors de la maison , avec l’Antinoiis de la livrée. Mais enfin Dorine pleure ; Dorineest si dévouée, si discrète ! et Antinoiis, qui n’a pas moins de cinq pieds huit pouces , est un de ces hommes qu’on ne remplace pas. La femme de chambre est éminemment sensible et aimante. Cette disposition tient encore aux circonstances et aux objets dont elle est habituellement entourée. Placée continuellement entre les licences de la livrée et les délicatesses du langage des maîtres, respirant tour A tour l’enivrement du boudoir et les miasmes de l’office, son imagination s’exalte, ses sens stimulés se révoltent, et souvent la sagesse lui fait défaut. — Et le moyen , s’il vous |ilalt , qu’il en soit autrement , quand on a vingt ans, beaucoup d’inleiligence , l’oreille fine et l’oeil bien fendu ? On a trop calonmié la femme de chambre ; beaucoup en ont médit ; très-peu lui oni rendu justice. Méchanceté et ingratitude !... oui, ingratitude. IJeporle/.-vous seulement pour un instant aux plus beaux jours de votre enfance ; choisissez entre vos plus délicieux souvenirs, et dites, ingrat, si , parmi toute cette poésie du passé, au milieu de tout ce luxe de tendresses, de gAleries et de baisers accumulés sur votre blonde tète et vos joues rosées, vous avez pu oublier celte gracieuse fille dont les caresses étaient plus douces que celle de votre bonne, qui savait mieux vous aimer, vous endormir dans ses bras , et baisait plus tendrement vos petites mains blanches et vos grands yeux bleus ? El plus tard... oui, plus tard... Pourrpioi rougir ? enfant que vous êtes ! l’amour ennoblit tout. Et dites-moi, je vous prie, si vous avez jamais rencontré depuis un amom- aussi vrai, aussi délicat et aussi désintéressé ? Qui se montra plus dévouée A vos caprices ? Qui vous servait constamment sans en être priée ? Oui plaidait votre cause en votre absence, et prenait courageusement la responsabilité des fautes que vous n’aviez pu cacher ? Qui entrait dans votre chambre à toute heure, sousle moindre prétexte, vous demandant pardon d’avance des services qu’elle venait vous rendre, vous souriant ù tout propos , vous regardant à la dércibée, passant et repassant prés de vous, effleurant votre main de sa main , et votre visage de ses longues tresses, arrangeant et dérangeant tout aulour de vous , plaçant ceci, déjjlaçant cela , inquiète, troublée et heureuse, pourtant, oh ! bien heureuse d’un de ces regards qu’elle aurait demandé A genoux , d’une simple marque de reconnaissance dont vous étiez si avare ! — Naïfs artifices d’une langue dont vous apprîtes un jour le premier mol sur les lèvres de Dorine ! Ah ! ce fui un moment unique dans votre vie A tous deux , tout rempli par vous de célestes révélations.