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son intérêt? — Mon voisin m’a jeté des pierres! — Eh bien! as-tu pour ta part commis quelque faute? — Tout ce qui est dans ma maison a été brisé! — Serais-tu donc toi-même un meuble? Non: tu es un jugement et une volonté. Qu’est-ce qui t’a donc été donné contre ce dont tu te plains? En tant que tu tiens du loup, il t’a été donné de mordre à ton tour, et de jeter un plus grand nombre de pierres. Si tu cherches ce qui t’a été donné en tant que tu es homme, regarde dans ta bourse, et vois quelles ressources tu avais en venant ici. Serait-ce la férocité? Serait-ce l’esprit de vengeance? Quand un cheval est-il malheureux? Quand il a perdu ses facultés naturelles; non quand il ne peut point chanter comme le coq, mais quand il ne peut plus courir. Et le chien? Non quand il ne peut point voler, mais quand il ne peut plus suivre la piste. » Eh bien! n’est-il pas pareillement vrai que l’homme malheureux n’est pas celui qui ne peut étrangler des lions, ou embrasser des statues (nul n’est venu au monde en tenant de la nature des moyens pour cela), mais celui qui perd sa bienveillance et sa loyauté? Voilà celui sur qui devraient gémir ceux qui le rencontrent, à la vue des maux dans lesquels il est tombé. Par Jupiter! il faut le plaindre, non pas d’être né ou d’être mort, mais d’avoir perdu de son vivant ce qui lui appartenait en propre: non point son patrimoine, son champ, sa maison, son hôtellerie, ses esclaves (rien de tout cela n’appartient à l’individu; ce sont toutes choses en dehors de lui, au pouvoir et à la merci d’autrui, que donnent tantôt à l’un, tantôt à l’autre, ceux qui en sont les maîtres),