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rait en y allant, il ne se demanda même pas s’il irait. Ne savait-il pas bien, en effet, qu’il lui faudrait toujours mourir, quand le moment en serait venu? Que lui importait la vie? C’était autre chose qu’il voulait sauver: non pas sa carcasse, mais sa loyauté et son honnêteté. Et sur ces choses-là personne n’avait prise ni autorité. Puis, quand il lui faut plaider pour sa vie, se conduit-il comme un homme qui a des enfants? Comme un homme qui a une femme? Non, mais comme un homme qui est seul. Et, quand il lui faut boire le poison, comment se conduit-il? Il pouvait sauver sa vie, et Criton lui disait: « Pars d’ici, pour l’amour de tes enfants. » Que lui répond-il? Voit-il là un bonheur inespéré? Comment l’y eût-il vu? Il examine ce qui est convenable, et il n’a ni un regard, ni une pensée pour le reste. C’est qu’il ne voulait pas, comme il le dit, sauver son misérable corps, mais ce quelque chose qui grandit et se conserve par la justice, qui décroît et périt par l’injustice. Socrate ne se sauve pas par des moyens honteux, lui qui avait refusé de donner son vote, quand les Athéniens le lui commandaient, lui qui avait bravé les tyrans, lui qui disait de si belles choses sur la vertu et sur l’honnêteté. Un tel homme ne peut se sauver par des moyens honteux; c’est la mort qui le sauve, et non pas la fuite. Ne reste-t-on pas plus sûrement bon acteur, en cessant de jouer quand il le faut, qu’en jouant encore quand il ne le faut plus? — « Mais que feront tes enfants? » (lui dit-on.) — « Si je m’en allais en Thessalie, répond-il, vous prendriez soin d’eux. Eh bien! n’y aura-t-il aucun de vous pour en prendre soin, quand je serai