Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/398

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas, ne murmure pas. Sinon, tu recevras des coups, et tu n’en perdras pas moins ton ânon. Or, si c’est là ce que tu dois être vis-à-vis de ton corps, vois ce qu’il te reste à être vis-à-vis de toutes les choses qu’on n’acquiert qu’à cause de son corps. Si ton corps est un ânon, tout le reste n’est que brides, bâts, fers pour les pieds, orge et foin à l’usage de l’ânon. Laisse donc tout cela, et défais-t’en plus vite et plus gaiment que de ton ânon même.

Ainsi préparé et exercé à distinguer les choses qui ne sont pas tiennes de celles qui le sont, et celles qui peuvent être entravées de celles qui ne le peuvent être, à te croire intéressé dans les secondes, et nullement dans les premières, à veiller ici sur tes désirs, et là sur tes craintes, qui peux-tu redouter encore? Personne. Car pourquoi redouterais-tu quelqu’un? Pour les choses qui sont bien à toi, et qui sont les seules où se trouvent réellement le bien et le mal? Mais qui a pouvoir sur elles? Qui peut te les enlever? Qui peut les empêcher en toi? On ne le peut pour toi non plus que pour Dieu. Craindrais-tu pour ta personne et pour ta bourse? Pour des choses qui ne sont pas à toi? Pour des choses qui ne t’intéressent en rien?

Eh! à quoi t’es-tu exercé depuis le premier jour, si ce n’est à distinguer ce qui est tien et ce qui n’est pas tien, ce qui dépend de toi et ce qui n’en dépend pas, ce qu’on peut entraver et ce qu’on ne peut pas entraver? Dans quel but as-tu été trouver les philosophes? Serait-ce donc pour n’être ni moins infortuné ni moins malheureux?

Voilà comment tu seras sans terreurs et sans trouble. Le chagrin, en effet, existera-t-il alors