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même sur un navire: embarqué comme matelot, empare-toi d’une place, et restes-y obstinément; s’il te faut monter au mat, refuse; s’il te faut courir à la proue, refuse; quel est le pilote qui te supportera alors, et quine te chassera pas comme un meuble inutile, comme un embarras, comme un mauvais exemple pour les autres matelots? C’est la même chose ici: la vie de chacun de nous est une campagne, et une campagne longue et variée. Il te faut faire ton devoir de soldat, tout exécuter sur un seul signe du général, deviner même ce qu’il veut. Car le général de tout à l’heure n’est l’égal du nôtre, ni par sa puissance, ni par l’excellence de sa nature. Et tu te trouves, toi, muni d’un grand commandement, placé à un poste qui n’est pas peu honorable: tu es sénateur. Ne sais-tu pas qu’un tel homme doit peu s’occuper de sa maison, être presque toujours loin de chez lui, pour commander, pour obéir, pour remplir une magistrature, pour conduire une expédition, ou pour rendre la justice? Et tu voudrais rester à la façon des plantes, attaché et enraciné au même lieu! — « Cela serait si doux! » Qu’est-ce qui le nie? Mais c’est une douce chose aussi qu’un gâteau, une douce chose aussi qu’une belle femme. Ceux qui font de la volupté le but de la vie, parlent-ils autrement que toi?

Ne vois-tu pas de quels hommes tu parles le langage? C’est le langage des Épicuriens et des débauchés. Et toi qui agis comme eux, et qui penses comme eux, tu viendras nous tenir les raisonnements de Zénon et de Socrate! Ne rejetteras-tu pas bien loin de toi ce dont tu te pares, sans qu’il t'appar-