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néglige; notre bonheur, quand on lui donne des soins.

Mais supprimer l’art de la parole, et dire qu’il n’est en réalité d’aucune utilité, ce n’est pas seule ment agir en ingrat envers ceux qui nous l’ont donné, c’est encore agir en peureux. C’est craindre, ce me semble, que, s’il y avait là un art, nous n’eussions pas la force de ne l’estimer que le peu qu’il vaut. C’est ressembler aux gens qui disent qu’il n’y a aucune différence entre la beauté et la laideur. A ce compte, il faudrait éprouver la même impression à l’aspect de Thersite et à celui d’Achille; à l’aspect d’Hélène et à celui de la première femme venue. Ce sont là des sottises et des idées d’imbécile, les idées d’un homme qui ne se rend pas compte de la nature de chaque chose, et qui craint que, s’il ne reconnais sait pas de différences entre elles, il ne fût aussitôt entraîné et vaincu, et que ce n’en fut fait de lui. La véritable grandeur, au contraire, c’est de laisser à chaque chose sa nature réelle; puis, quand on la lui a laissée, d’apprécier sa valeur, de discerner ce qu’il y a de meilleur dans le monde, de s’y attacher en toute circonstance, d’y tendre de tous ses efforts, de regarder le reste comme superflu en comparaison, mais cependant sans négliger ce reste, autant que faire se peut. Il faut, en effet, avoir soin de ses yeux, non pas, il est vrai, comme de la chose la plus importante, mais dans l’intérêt même de cette chose; car elle ne saurait demeurer en conformité avec la nature, qu’en faisant des yeux le cas qu’elle en doit faire, et en préférant pour eux tels objets à d’autres.

Mais qu’est-ce qui arrive? Ce qui arriverait à un