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actes il n’y ait que bassesse, impudence, absence de toute valeur, lâcheté, négligence, rien de bon en somme ? C’est que nous n’en avons ni soin ni souci. Si nous avions peur, non point de la mort et de l’exil, mais de la peur elle-même, c’est elle que nous tâcherions d’éviter à titre de mal. Aujourd’hui, dans l’école, nous avons du feu et de la langue, et, quand une de ces questions se présente, nous nous entendons à la traiter tout du long. Mais fais-nous passer à l’application, quels pauvres naufragés tu trouveras ! Qu’il se présente un objet propre à nous troubler, et tu verras ce à quoi nous nous sommes préparés, ce à quoi nous nous sommes exercés ! Aussitôt, faute de préparation, nous nous grossissons les objets qui nous entourent, et nous nous les figurons d’autre taille qu’ils ne sont. Quand je suis sur un navire, si mes yeux plongent dans l’abîme, ou si je considère la mer qui m’entoure, en n’apercevant plus la terre, je me trouble à l’instant, et je me représente que, si je faisais naufrage, il me faudrait boire toute cette mer ; et il ne me vient pas à l’esprit qu’il suffit de trois setiers pour me suffoquer. Qu’est-ce qui me trouble donc ici ? Est-ce la mer ? Non ; mais ma façon de voir. De même, quand arrive un tremblement de terre, je me représente toute la ville tombant sur moi. Mais ne suffit-il pas d’une petite pierre, pour faire jaillir ma cervelle ?

Qu’est-ce donc qui cause nos chagrins et nos désespoirs ? Qu’est-ce, si ce n’est nos façons de voir ? Lorsque nous nous éloignons, que nous nous séparons de nos compagnons, de nos amis, des lieux et des gens dont nous avons l’habitude, quelle est la cause de notre chagrin, si ce n’est nos façons de