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d’appliquer ces notions premières aux faits particuliers. « Un tel a bien agi. C’était son devoir. C’était contre son devoir. Il a été heureux. Il a été malheureux. Il est injuste. Il est juste. » Qui de nous s’abstient de ces façons de dire ? Qui de nous en remet l’usage au temps où il sera instruit, comme le font, pour les figures de la géométrie et pour les notes de la musique, ceux qui ne s’y connaissent pas ? La cause en est que nous venons au monde en tenant de la nature sur ce point une certaine instruction, d’où nous partons pour nous permettre de juger. « Pourquoi en effet, dit-on, ne me connaîtrais-je pas au beau et au bien ? N’en ai-je donc point les notions ? — Tu les as.— « Est-ce que je ne les applique pas aux faits particuliers ? » — Tu les appliques. — « Est-ce que je ne les applique pas bien ? » — Toute la question est là ; car c’est dans ces applications mêmes que consistent les jugements. Tous les hommes sont d’accord sur ces notions premières, qui sont leur point de départ ; mais ils arrivent à des conclusions douteuses parce qu’ils ne les appliquent pas bien. Si, avec ces notions elles-mêmes, on avait en plus le talent de les appliquer, qu’est-ce qui empêcherait d’être parfait ? Mais enfin, puisque tu crois appliquer à propos ces notions premières aux faits particuliers, dis-moi d’où tu tires cette croyance ? — « De ce que les choses me paraissent ainsi. » — Mais il est tel individu à qui elles ne paraissent pas ainsi, et qui croit lui aussi appliquer ces notions d’une manière convenable. Est-ce qu’il ne le croit pas par hasard ? — « Il le croit. » — Mais se peut-il, quand vos jugements se contredisaient, que des deux côtés vous appliquiez à