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éprouver un dommage que de perdre même son nez. — « Si, dis-tu ; car c’est être mutilé. » — Eh bien ! perdre l’odorat seul, serait-ce donc ne rien perdre ? Et l’âme à son tour n’a-t-elle pas des qualités dont la possession est un avantage, dont la perte est un dommage ? — « De quelles qualités parles-tu ? » — Ne tenons-nous pas de la nature l’honnêteté ? — « Oui. » — La perdre n’est-ce donc pas éprouver un dommage ? N’est-ce pas être privé, dépouillé de quelque chose qui était à nous ? Ne tenons-nous pas encore de la nature la loyauté, l’amour, la charité, la patience à l’égard les uns des autres ? Et celui qui les laisse endommager en lui, n’éprouve-t-il donc ni tort ni dommage ?

— « Quoi donc ! ne nuirai-je pas à qui m’a nui ? » — Vois d’abord ce que c’est que de nuire, et rappelle-toi ce que tu as appris des philosophes. Si le bien, en effet, est dans notre façon de juger et de vouloir, et si le mal y est aussi, prends garde que tes paroles ne reviennent à ceci : « Comment ! cet autre s’est nui à lui-même en me faisant injustice, et je ne me nuirais pas à moi-même en lui faisant injustice ! »

Pourquoi donc ne pensons-nous pas ainsi, et croyons-nous, au contraire, qu’il y a dommage quand notre santé ou notre bourse baissent, mais qu’il n’y a pas dommage quand baisse notre façon de juger ou de vouloir ? C’est que nous pouvons nous tromper ou commettre une injustice, sans pour cela souffrir de la tête, des yeux ou de la hanche, et aussi sans perdre notre champ. Or, nous ne voulons pas autre chose. Mais que notre volonté soit honnête et loyale, ou déshonnête et sans foi, c’est ce qui ne