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recevoir. Il y aura là bien jouer, habileté, promptitude, coup-d’œil, si je reçois la balle, sans tendre ma robe, et si l’autre la reçoit quand je la lance. Mais, si c’est avec désordre et appréhension que nous la lançons ou la recevons, que deviendra le jeu ? Qu’est-ce qui y gardera son sang-froid ? Qu’est-ce qui y démêlera l’ordre à suivre ? L’un dira : « Lance-la ; ne la lance pas. » L’autre : « Tu en as lancé une. » C’est là une dispute ; ce n’est plus un jeu.

Aussi Socrate savait-il jouer à la paume ! Que veux-tu dire par là ? Il savait plaisanter devant le tribunal : « Réponds-moi, Anytus, disait-il, comment peux-tu dire que je n’admets pas de Dieu ? Que crois-tu que soient les demi-dieux ? Ne crois-tu pas qu’ils sont ou les enfants des dieux, ou un mélange de l’homme et du Dieu ? » — « Oui, » dit l’autre. — « Eh bien ! penses-tu qu’on puisse croire aux mulets, et ne pas croire aux ânes ? » Il jouait là comme avec une balle. Et quelle était la balle dans cette partie ? La vie, la prison, l’exil, le poison à boire, sa femme à quitter, ses enfants à laisser orphelins ! Voilà avec quoi il jouait cette partie ; mais il ne l’en jouait pas moins, et n’en lançait pas moins sa balle suivant les règles. Nous, à notre tour, nous devons, à son exemple, mettre dans notre jeu toute l’attention d’un joueur consommé ; mais en même temps nous devons y être indifférents, comme on l’est pour la balle. Toujours, en effet, nous avons à déployer notre talent à propos de quelque objet extérieur, mais sans lui accorder de valeur, et uniquement pour faire montre de notre talent à propos de lui, quelqu’il soit