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l'humanité, survint un de nos prétendus lettrés, qui avait été autrefois surpris à Rome en adultère. Que faisons-nous, dit alors Épictète, lorsque, renonçant à cette honnêteté pour laquelle nous sommes nés, nous nous attaquons à la femme de notre voisin ? Ce que nous faisons ? Nous perdons et détruisons... Quoi donc ? Notre honnêteté, notre retenue, notre pureté. Est-ce là tout ? Ne détruisons-nous pas encore les rapports de bon voisinage ? Et l’amitié ? Et la société civile ? Quel rôle nous donnons-nous à nous-mêmes ? Ô homme, quelles relations entretiendrai-je avec toi ? des relations de voisin ? d’ami ? De quoi, enfin ? de citoyen ? Quelle confiance puis-je avoir en toi ? Si tu étais un vase en si piteux état, que tu ne pusses servir à rien, on te jetterait dehors, sur un tas de fumier, et personne ne t’y ramasserait. Si tu es un homme, et que tu ne puisses jouer aucun des rôles de l’homme, que ferons-nous de toi ? Car, si tu ne peux être à ta place comme ami, y pourras-tu être comme esclave ? Mais là encore qui se fiera à toi ? Et tu ne veux pas qu’on te jette toi aussi sur un tas de fumier, comme un vase inutile, aussi sale que le fumier !

Puis tu viendras dire : « Quoi ! personne ne fait cas de moi qui suis un lettré ! » C’est que tu es un méchant, dont il n’y a rien à faire. C’est comme si les guêpes s’indignaient de ce qu’on ne fait pas cas d’elles, de ce qu’on les fuit, et de ce qu’on les frappe et les abat, quand on le peut ! Tu as un dard qui porte le chagrin et la douleur partout où il frappe. Que veux-tu que nous fassions de toi ? Il n’y a pas de place où te mettre.