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libre. Voulez-vous vivre tremblants de peur ? Voulez-vous vivre tristes ? Voulez-vous vivre bouleversés ? — Non. — Tous ceux donc qui tremblent, tous ceux qui sont tristes, tous ceux qui sont bouleversés ne sont pas libres ; tous ceux au contraire qui sont affranchis de la tristesse, de la crainte et des bouleversements, tous ceux-là sont par le même moyen affranchis de la servitude. Comment donc aurons-nous encore confiance en vous, ô chers législateurs ? Allons-nous n’accorder le droit de s’instruire qu’aux gens libres ? Mais les philosophes disent : « Nous n’accordons la liberté qu’à ceux qui sont instruits. » Et cela signifie que c’est Dieu lui-même qui ne l’accorde qu’à ceux-là, — Serait-ce donc ne rien faire que de faire faire à notre esclave un tour sur lui-même devant le préteur ?[1] — C’est faire quelque chose. — Mais quoi ? — C’est lui faire faire un tour sur lui-même devant le préteur. — Pas autre chose ? — Si ; c’est encore s’obliger à payer le vingtième de sa valeur. — Mais quoi ! celui qu’on a conduit ainsi n’est-il pas devenu libre ? — Pas plus libre qu’il n’est exempt de trouble. Toi-même, en effet, qui peux ainsi conduire les autres devant le préteur, n’as-tu donc point des maîtres ? N’as-tu point pour maîtres l’argent, une jeune fille, un beau jeune homme, le prince, un ami du prince ? S’ils ne sont pas tes maîtres, pourquoi trembles-tu lorsque tu vas vers l’un d’entre eux ?

C’est pour cela que je vous dis si souvent : Voici

  1. Pour affranchir un esclave on le conduisait devant le préteur, et là on le frappait sur la joue et on lui faisait faire un tour sur lui-même.