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Est-ce que j’ignore ce qui est mon devoir et ce qui me convient ? Si cela ne peut ni s’enseigner ni s’apprendre, pourquoi me fais-tu des reproches ? Si cela peut s’enseigner, enseigne-le-moi ; ou, si tu ne peux me l’enseigner toi-même, laisse-moi l’apprendre de ceux qui disent le savoir. Car que penses-tu ? que c’est volontairement que je tombe dans le mal, et que je passe à côté du bien ? À Dieu ne plaise ! Quelle est donc la cause du mal que je fais ? L’ignorance. Ne veux-tu pas que je me délivre de cette ignorance ? À qui la colère a-t-elle jamais enseigné ou la manœuvre ou la musique ? Crois-tu donc que ce sera ta colère qui m’enseignera à vivre ? »

Ce langage ne peut être tenu que par celui qui apporte vraiment chez nous cette disposition d’esprit. Mais celui qui, lorsqu’il lit nos livres, et quand il va aux leçons des philosophes, n’aspire qu’à pouvoir faire montre dans un festin de sa connaissance des syllogismes hypothétiques, celui-là que fait-il, que chercher à se faire admirer du sénateur son voisin de table ? C’est, qu’en effet, c’est là-bas (à Rome) que sont les objets d’importance ; tandis que nos trésors à nous n’y paraissent que niaiseries. Aussi est-il difficile de rester maître de ses sens, quand ce qui les ébranle est d’importance. J’ai connu quelqu’un qui embrassait les genoux d’Épaphrodite en pleurant et se disant malheureux, parce qu’il ne lui restait que quinze cent mille sesterces. Que fit Épaphrodite ? Lui rit-il au nez, comme nous l’aurions fait ? Non : il lui dit avec étonnement : « Malheureux, comment n’en disais-tu rien ? Comment t’y résignais-tu ? »