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éprouve du mal et que l’on est privé du bien ? Cela n’est pas possible. Est-il possible alors de se conduire comme on le doit envers ceux avec qui l’on vit ? Comment cela serait-il possible ? Je suis né pour faire ce qui m’est utile. S’il m’est utile d’avoir un champ, il m’est utile de prendre celui de mon voisin. S’il m’est utile d’avoir un manteau, il m’est utile d’en voler un aux bains. De là viennent les guerres, les dissensions civiles, les tyrannies, les complots. Comment observer alors ce que je dois à Jupiter ? Car, si l’on me fait du tort, et si je suis malheureux, c’est qu’il ne s’occupe pas de moi. Et qu’ai-je affaire de lui, s’il ne peut pas me secourir ? Qu’en ai-je affaire encore, si c’est par sa volonté que je me trouve dans cette situation ? Je me mets par suite à le haïr. Pourquoi donc alors lui élevons-nous des temples, des statues ? Il est vrai qu’on en élève aux mauvaises divinités, à la Fièvre ; mais comment s’appellera-t-il encore le Dieu sauveur, le Dieu qui répand la pluie, le Dieu qui donne les fruits ? Et cependant si nous plaçons le vrai bien dans les choses qui ne dépendent pas de nous, tout cela s’en suivra.

Que ferons-nous donc ? Voilà la recherche qui convient au vrai philosophe, à celui dont les efforts doivent aboutir.

Si je dis aujourd’hui que je ne sais pas quel est le bien et quel est le mal, ne serai-je pas fou ? Certes oui. Mais, d’autre part, si je dis : Dois-je placer le bien uniquement dans ce qui dépend de nous ? tous vont me rire au nez. Il viendra un vieillard qui aura des cheveux blancs, et beaucoup d’anneaux d’or ; il secouera la tête, et dira : « Écoute-moi, mon fils,