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peut pas s’étudier ainsi. L’art du cordonnier, par exemple, s’occupe des cuirs, mais sa nature est à mille lieues de celle des cuirs ; aussi ne peut-il s’étudier lui-même. La grammaire à son tour s’occupe d’écrire les mots, mais est-elle elle-même un mot à écrire ? Non. Aussi ne peut-elle s’étudier elle-même. Pourquoi donc la nature nous a-t-elle donné la raison ? pour user des idées, comme il faut en user. Or, qu’est-elle elle-même ? un certain ensemble d’idées. Elle peut ainsi, en vertu de sa nature, s’examiner elle-même. La sagesse, à son tour, pour l’étude de quoi nous a-t-elle été donnée ? Pour l’étude de ce qui est bien, de ce qui est mal, et de ce qui est indifférent. Qu’est-elle donc elle-même ? Un bien. Et le manque de sagesse ? Un mal. Tu vois bien que forcément elle doit pouvoir s’étudier elle-même et étudier son contraire. Aussi le premier et le plus important devoir du philosophe est-il d’examiner ses idées, de les juger, et de n’adhérer à aucune qu’après examen. Voyez comme nous avons su trouver un art pour la monnaie qui semble nous intéresser si fort, et de combien de moyens se sert l’essayeur d’argent pour la vérifier. Il se sert de la vue, du toucher, de l’odorat, et finalement de l’ouïe. Il frappe sur une pièce, écoute le son, et ne se contente pas de la faire sonner une fois ; c’est à force de s’y reprendre que son oreille arrive à juger. C’est ainsi que, lorsque nous croyons qu’il est pour nous de grande conséquence de nous tromper ou de ne pas nous tromper, nous apportons la plus grande attention à l’examen des choses qui peuvent nous tromper. Mais, bâillant et endormis, pour tout ce qui regarde notre faculté maî-