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sur les sujets les plus importants, cet homme aveuglé, non dans ces yeux du corps qui distinguent le blanc du noir, mais dans ces yeux de l’esprit qui distinguent le bien du mal, ne devrait-il pas périr ? » Et si tu parles ainsi, tu reconnaîtras combien ton dire est inhumain, combien il ressemble à celui-ci : « Cet homme aveugle et sourd ne devrait-il pas périr ? » Car si le plus grand de tous les dommages est d’être privé des plus grands biens, et si le plus grand de tous les biens est un jugement droit, pour quoi t’emporter encore contre celui qui en est privé ? Ô homme, il ne faut pas que les torts des autres produisent sur toi un effet contraire à la nature ; aie pitié d’eux plutôt. Laisse là, ces mots de colère et de haine, ces exclamations de la multitude : « Quelle canaille ! Quel être odieux ! » Es-tu donc, pour ta part, devenu sage en un jour ? Te voilà bien sévère ! Pourquoi donc nous emportons-nous ? Parce que nous attachons du prix à ce qu’on nous enlève. N’attache pas de prix à ton manteau, et tu ne t’emporteras pas contre son voleur ; n’attache pas de prix à ta femme, si belle qu’elle soit, et tu ne t’emporteras pas contre son amant. Sache que le voleur et l’amant n’ont pas de prise sur ce qui est à toi, qu’ils n’en ont que sur les choses qui ne sont pas à toi, et qui ne dépendent pas de toi. Si tu te détaches de ces choses-là et n’en fais aucun cas, contre qui auras-tu encore à t’emporter ? Tant que tu y attacheras quelque prix, c’est de toi que tu devras être mécontent, et non pas des autres.

Vois un peu : tu as de beaux vêtements, tandis que ton voisin n’en a pas ; tu as une fenêtre ; veux-tu les y mettre à l’air ? Il ne sait pas quel est le bien