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— Non, je t’en supplie, Bill ! s’écria celui qu’on menaçait. Je ne vous trahirai pas.

L’homme à la lanterne se mit à ricaner et répliqua :

— Je te crois. Tu n’as jamais rien dit d’aussi vrai. Poltron, tu nous supplies maintenant, et tu nous aurais tués tous les deux, si nous n’avions pas été les plus forts. Et pourquoi ? Parce que nous insistions sur nos droits, tout bonnement. Tu ne trahiras plus personne… Allons, remets ton pistolet dans ta poche, Bill.

— Pas avant de m’en être servi, Jack. N’a-t-il pas essayé de nous tuer ?

— Oui, mais je ne tiens pas à le tuer, lui, et j’ai mes raisons.

— Merci de ces bonnes paroles, Jack, s’écria le malheureux que l’on venait de menacer. Je ne les oublierai pas, tant que je vivrai.

Cette promesse ne parut pas toucher Jack ; il se dirigea vers le couloir où je me tenais et fit signe à son compagnon de le suivre. Le steamer penchait au point qu’il n’y avait pas moyen de courir. Je m’éloignai en rampant et je gagnai une des petites cabines. J’avais à peine eu le temps d’y pénétrer, que j’entendis Jack dire à son ami :

— Entrons ici et causons.

Il entra, suivi de Bill. Je m’étais déjà glissé dans le cadre d’en haut, très fâché d’avoir cherché une aventure. Ils s’arrêtèrent à quelques pas de moi. J’avais beau ne pas les voir, une forte odeur de whisky m’annonçait leur voisinage. Je me félicitai de mon horreur de l’eau-de-vie ; après tout, cela ne m’aurait pas trahi, car je respirais à peine, j’avais tant peur.

— Il a juré de nous dénoncer, dit Bill, et il n’y manquera pas après la façon dont nous l’avons traité. Il en sait trop long sur notre compte. Nous devons nous débarrasser de lui. Voilà mon opinion.

— C’est aussi la mienne, répliqua Jack.

— Tant mieux ; je me charge de l’expédier.

— Attends un peu. Une balle ferait l’affaire ; mais à quoi bon le tuer quand il est si facile d’arriver au même résultat sans nous en mêler ?