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LA DENT D’HERCULE PETITGRIS

— Restons-en là, dit-il. Je vais mettre le président au courant du service que vous avez rendu.

— Pas la peine, interrompit le policier. Je ferai la commission moi-même. Ça vaut mieux.

— Monsieur ! s’écria Rouxval exaspéré.

— Eh bien, quoi, mossieu le Minisse, le président a bafouillé également dans c’t’affaire. Croyez-vous que je vais rater l’occasion de me payer aussi sa tête ? Vrai, la vie n’est pas si drôle !

Il jubilait, la dent énorme et implacable.

Rouxval lui montra l’antichambre. Hercule Petitgris passa devant lui en s’effaçant, comme un homme qui n’est pas sûr de ne pas recevoir un coup de pied dans le bas du dos :

— Au revoir, monsieur le Ministre… Et puis, un bon conseil : ne vous risquez pas hors de votre compartiment. Chacun son métier. Faites les lois. Faites tout votre gribouillis de gouvernement. Mais, pour ce qui est de la police, laissez ça aux bougres de mon espèce.

Il s’éloigna de trois pas. Était-ce fini ? Non. Il eut l’audace de revenir, de se planter devant Rouxval, et de lui dire le plus gravement du monde :

— Après tout, vous avez peut-être raison… et c’est peut-être moi qu’ai bafouillé. Car enfin, si on raisonne froidement, qu’est-ce qui nous prouve que le comte s’est arrêté en route et qu’il n’a pas fait l’escamotage ? Tout est possible, et son truc était rudement bien monté ! Pour moi, j’y perds mon latin. Au revoir, monsieur le Ministre.

Cette fois, il semblait qu’il n’eût plus rien à dire. Il ajusta son chapeau sur sa tête, remercia l’huissier qui l’escortait et sortit de l’antichambre en ricanant.

Rouxval rentra dans son bureau, l’allure lourde et pensive. Les dernières paroles de Petitgris le troublaient singulièrement. C’était comme une nouvelle morsure où la dent satanique de l’individu avait distillé une goutte de venin. Confusément, il se rendait compte que cette affaire demeurerait à jamais téné-