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LA DENT D’HERCULE PETITGRIS

vation à faire, vous me la communiquerez directement.

— Directement, mossieur le Minisse, et tout bas, comme c’est mon habitude quand le supérieur bafouille…

Rouxval fronça le sourcil. D’abord, il détestait qu’on ne gardât point les distances auprès de lui. Puis, comme beaucoup d’hommes d’action, il avait le sentiment très vif et la crainte du ridicule. Appliquée à lui, cette expression de « bafouillage » lui semblait à la fois un outrage inadmissible et une menace volontaire. Mais déjà il avait sonné, et l’huissier entrait. Sans plus attendre, il donna l’ordre que les trois personnes fussent introduites.

Hercule Petitgris retira son pardessus verdâtre, le plia soigneusement et s’assit.


Le monsieur et la dame se présentèrent les premiers. Ils étaient en deuil tous deux, et d’allure distinguée ; elle, grande, jeune encore et très belle, avec des cheveux grisonnants et un pâle visage aux traits sévères ; lui, plus petit, mince, élégant, la moustache presque blanche.

Jean Rouxval lui dit :

— Le comte de Bois-Vernay, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur le Ministre. Ma femme et moi nous avons reçu votre convocation, laquelle nous a un peu étonnés, je l’avoue. Mais nous voulons croire qu’elle ne nous annonce rien de pénible ? Ma femme est assez souffrante…

Il la regardait avec une inquiétude affectueuse. Rouxval les pria de prendre place et répondit :

— Je suis persuadé que tout s’arrangera pour le mieux et que Mme de Bois-Vernay excusera le petit dérangement que je lui cause.

La porte s’ouvrait de nouveau. Un homme de vingt-cinq à trente ans s’avança. Il était de condition plus modeste, peu soigné dans sa mise, et sa physionomie quoique sympathique et avenante, présentait